mercredi 22 mai 2013

Une maladie qui ne se voit pas

C'est une maladie. Une maladie qui ne se voit pas. Elle ne me fait pas souffrir physiquement. Mes sens se dégradent sans aucune douleur, j'en ressens les effets de façon diffuse. Et avec l'évolution, ma vue baisse sérieusement. Et au fil, j'en ressens les conséquences. Au fur et à mesure, certains actes deviennent difficiles, demandent beaucoup d'énergie et d'attention.

Comme chercher quelque chose pendant 3 minutes et s'apercevoir qu'il était à portée de main. C'est vite épuisant à force d'être répétitif. A force, on développe des réflexes d'auto-défense, une sorte de méthode pour pas se laisser débordée. Et à force, il n'y a plus de spontanéité, que de la méthode dans les gestes et les actes. Chercher quelque chose, balayer du regard, des mains, en hauteur, par terre, calmement... ça demande un minimum de sang-froid. Passer l'éponge sur la table, attention au verre qui traîne ! On a beau se méfier, ça nous échappe.

Et puis un jour, je me suis rendu compte :
Que je ne voyais pas la personne en face de moi tandis que j'ai les yeux rivés à l'écran (situation récurrente lorsqu'on fait de l'accueil public en bibliothèque).
Que je n'ai pas vu le collègue croisé dans un couloir sombre, seulement entendu son 'bonjour".
Que même marcher dans la rue devient difficile, demandant une attention permanente à balayer le sol du regard pour voir passer les paires de pieds, les roues, les marches, les petites tailles, les poteaux de signalisation.... Mais toujours je me prendrai la valise roulant derrière son possesseur si je ne l'ai pas repéré auparavant. Souvent je me prends les poussettes...
Que le vélo est un moyen de locomotion trop dangereux pour moi, qui habite en ville.
Qu'il ne m'est plus possible de sortir et rejoindre des gens en ville, dans un pub par exemple.
Que la personne en face de moi, je ne la vois plus, en fait elle s'est juste assise.

Que tu te braques de tous tes membres pour rester concentré sur l'environnement juste pour rendre visite à un proche à l'hôpital.

Et ça, juste ça, ça me fatigue énormément.

Mais les gens ne le voient pas, ne le comprennent pas forcément car cela ne se voit pas. Cela peut facilement passer pour de l'étourderie, de la distraction, ou de la maladresse. C'est plus facile à expliquer comme ça. C'est plus facile à masquer aussi.

Je me sens arriver à un point limite où je ne peux plus le cacher, mais qu'il faudra encore que je l'accepte. Que j'accepte de passer un nouveau stade de ma vue qui m'oblige à repenser autrement mon avenir...

Deux déficiences. Et beaucoup d'efforts pour mener une vie normale. A présent, j'ai envie de retrouver ceux qui sont comme moi. J'y retrouverai de la normalité sans avoir à me forcer...

Un petit retour en vidéo sur la rétinite pigmentaire, cette maladie invisible. Charadid est l'auteur de plusieurs poèmes en vidéos, des tronches de vie d'un rétinopathe.

mercredi 8 mai 2013

Mais qu'est-ce que tu vois ?




Cette photo glanée sur le web peut donner une idée de la perte de vision périphérique. Tu imagines ce que tu peux voir, la rue dans son ensemble, les trottoirs de part et d'autre, ses passants, ses devantures. Moi je ne vois qu'en face de mes trous de yeux. Je ne vois pas le noir tel qu'il apparaît sur la photo. Je ne vois que ce qu'il y a en face de mes yeux. 


Au fil de l'évolution de ma maladie, comme je ne peux pas voir ce noir qui encadre ma vision, je fais régulièrement le test avec mes mains, pour essayer de me rendre compte à quel niveau je ne la vois plus...
Cette photo est une représentation parmi d'autres, elle n'est pas représentative de comment voient les gens atteints de rétinite pigmentaire. C'est une maladie évolutive, une dégénérescence de la rétine. C'est génétique et l'évolution dépend des individus qui en sont touchés.
 Je n'ai pas conscience de la dégénérescence car je ne ressens pas de douleurs physiques, c'est dans les faits que je me rends compte. Un jour je ne vois pas la tablette de chocolat qu'on me tend - un de mes souvenirs les plus marquants (j'avais 19 ans) ou les plats apéritifs qu'on se fait servir. Ou bien je cherche mon bébé qui trotte partout pour me rendre compte qu'il est à mes pieds. En voiture, j'ai très tôt été très attentive aux piétons, mais quand je me suis aperçue qu'il m'en échappait quand même, je n'ai plus conduit en ville. J'ai profité le plus longtemps possible de conduire sur les autoroutes. L'été 2010 fut le dernier.

Par moments, j'ai des tâches qui apparaissent au milieu de l'oeil. Ma copine Cathy expliquait qu'elle voyait comme dans une passoire... c'est un stade plus évolué de la maladie. D'après les médecins, j'ai la chance d'avoir conservé une bonne vision centrale. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. A partir de quand je ne pourrais plus lire un livre "normalement" ? Je ne sais pas. Avec les nouvelles technologies, je vais gagner du temps sans doute.

Pour essayer d'imaginer comment je vois, se mettre les mains en jumelles, les mains en rond autour de chaque oeil...
Imagine...
Des œillères puissance 4. Et la puissance va augmenter encore, jusqu'à voir comme dans un trou de serrure (c'est ainsi qu'on me l'a décrit à l'annonce du diagnostic).
Outre la perte de la vision périphérique, la RP crée une très forte sensibilité à la lumière. Le soleil de Mars - Avril est bas, et est très lumineux pour nos petits yeux endormis dans la torpeur de l'hiver. La luminosité est tellement forte que les passants se transforment en silhouette, tout semble flouté (comme sur une photo qui a pris trop de lumière). Le grand soleil fait vraiment conscience du problème de vue. Car j'ai toute la luminosité dont j'ai besoin, mais j'y perçois les limites de mon champ périphérique (sans voir noir pour autant).  Tandis qu'à la fin de journée, la lumière s'atténue, j'ai l'impression de moins voir car je manque de lumière.
Je ne vois pas les gens arriver, ceux qui vont croiser mon chemin, je ne sais pas évaluer la distance à respecter, et je me prends souvent à bousculer les piétons. (Si seulement je pouvais tomber dans les bras de beaux hommes !). Dans le métro, les stations à correspondances, où tout le monde part dans tous les sens, faible luminosité des néons, c'est une opération pénible qui demande à balayer le sol du regard pour tracer son chemin ...
A présent je suis gênée, même pour chercher un truc sur les meubles. Je vais être obligée, par la force des choses, d'être maniaque, et que chaque chose soit à sa place ! Dur dur !

vendredi 2 novembre 2012

J’entends mais je ne comprends pas !


La surdité ce n’est pas simplement une question de niveau sonore ! Monter le son de la télé ou de la radio, parler plus fort au téléphone, ça sert juste à me crisper le nerf auditif, je le ressens comme une agression… C’est difficile de faire comprendre comment j’entends… que j’entends mais que je ne comprends pas. Tu peux parler à mon oreille, tu peux parler fort derrière moi, j’entends mais mon cerveau n’interprète pas les sons pour les rendre intelligibles et leur donner sens.
C’est à cela que sert la lecture labiale : elle donne des formes aux sons et du sens aux phrases. Suivant la forme que prennent les lèvres, je pourrai distinguer les sons. Par exemple, je confonds systématiquement les lettres E et O. Essaye sur tes lèvres, tu constateras que la forme des lèvres est différente. Le support labial est donc capital pour moi. Ceci dit j’ai besoin du son aussi, la lecture labiale sans le son est un calvaire pour moi. Ce sont donc deux compléments indispensables qui me permettent d’entretenir une conversation sans (trop) de problèmes.
Suivant les personnes la discussion sera plus ou moins problématique. J'arrive avec l'expérience à mieux définir mes besoins, la première, capitale : ar-ti-cu-ler ! je le rappelle souvent au téléphone d'ailleurs, je le redis, cela ne sert à rien de hausser le ton, ce qui est important c'est d'articuler, que je puisse distinguer les mots. A contrario, trop articuler, à détacher chaque syllabe devient incompréhensible pour moi car j'en perds le fil de la phrase. Compliqué de trouver le juste équilibre, n'est-ce pas ? De même épeler un nom propre au téléphone est extrêmement difficile et suppose une certaine patience à mon interlocuteur. Quant aux chiffres, il me faudra souvent m'y reprendre à 3 fois avant de saisir les bons, et parfois j'arrive encore à noter le mauvais numéro de téléphone ! Désespérant ! Un truc que je n'aime pas aussi sont les messages aux répondeurs : les gens ont tendance à parler super vite alors que personne ne va leur couper la parole ! Et c'est souvent incompréhensible pour moi. Et je me rends compte que même pour les entendants à qui je demande de me répéter le message, c'est parfois difficile. Autre cas extrême, ceux qui me racontent leur vie... ma capacité d'attention est très limitée dans ce cas. Je zappe vite et de toute façon je rappelle ! :) Bref, le message doit précis, concis et dit pas trop vite !

vendredi 12 octobre 2012

Regarde où tu mets tes pieds !

C''est rien de le définir. Mais ça a coûte de le dire dans la vie. Je pensais avoir fait mon deuil. Mais la perte est progressive. Difficile de se rendre compte de son évolution. Et puis un jour... tu comprends qu'une nouvelle étape est passée. L'énergie ne peut plus être la même. El le s'épuise beaucoup rien qu'en déplacement et bousculades. J'ai l'impression de recevoir une deuxième claque. Parce que j'ai passé une nouvelle étape. La fin de l'hiver, le retour des beaux jours. Pour autant je ne me sens plus capable de conduire. Je n'ai pas touché à un volant depuis 6 mois. Maintenant c'est fini. Mais pourquoi dramatiser ? Ce n'est pas une tragédie. Certes j'ai adapté mon environnement de vie. La vie citadine est stressante. Et pour moi donc ! Tous ces électrons libres qui débarquent sur mon chemin. Parce que je ne les vois pas arriver. C'est un peu de mon quotidien que je veux partager, que je veux faire connaître pour comprendre pourquoi et comment je suis ce que je suis. D'apparence, une trentenaire citadine, avec ses galères de mère célibataire, une vie sentimentale chaotique, un compte bancaire dans le rouge et une famille aimante. Dans le fond, des gènes qui m'ont baclé une partie de l'audition à la naissance. Qui se sont mis ensuite à me détruire la rétine. ça ne se voit pas. c'est un avantage, sans doute. Mais ça oblige à expliquer certains comportements. C'est le quotidien des personnes atteintes de la rétinite pigmentaire et plus particulièrement du syndrome d'usher.